Editorial J59

Et si on essayait quand-même…

 

Mon Ami,

 

Un jour, à ce même endroit, je te disais que je suis né sans raison, que  même si mes parents attendaient la venue d’un enfant, ce n’était pas nécessairement moi qui étais annoncé, que seul le hasard est responsable du fait que les cellules qui m’ont constitué aient été celles-là qu’ils avaient produites.

Ainsi, j’aurais pu naître autre part, à une autre époque, dans d’autres conditions.

J’aurais pu naître quelque part où la terre est tellement pauvre qu’elle ne produit rien ou bien dans un pays où l’on se bat à mort, au nom d’un dieu hypothétique ou encore dans un bidonville ou une favela. J’aurais pu appartenir à une ethnie maudite comme hélas, il en existe encore ou bien être pourchassé pour mes idées.

Alors, il m’arrive de penser à mes enfants. Que seraient-ils aujourd’hui ?

Les photos que l’on nous montre de ces nourrissons prêts à mourir de faim ou de ces enfants soldats que l’on drogue pour les envoyer à la boucherie sont devenues d’une banalité cruelle tant elles sont pléthoriques, tant ces endroits-là nous semblent à la fois lointains et irréels.

Qu’aurais-je fait moi, là-bas,  en tant que papa, père de famille… sinon rassembler mes enfants, tenter par tous les moyens de leur éviter le sort impitoyable auquel ils étaient voués, m’exiler, quitter cette région qui m’a vu naître, mes parents, mes amis que j’aime plus encore à cause de cette vie de misère qui nous unit…  les prendre avec moi et fuir… très loin… là où,  à ce que l’on raconte, chacun mange à sa faim, les étalages des magasins regorgent de vivres, où l’on peut sortir dans la rue sans craindre pour la vie des petits, où existent des associations qui s’occupent des plus pauvres, des malchanceux.

Le chagrin d’un enfant est le même ici que dans un bidonville de Djakarta, la mort d’un enfant est le même drame, qu’elle survienne ici ou dans la corne de l’Afrique.

Alors mon Ami, comme il n’y a pas de miracle, sans doute serais-je  arrivé ici… avec dans mon baluchon, toutes mes croyances, mes habitudes, mes traditions.

J’aurais rencontré très vite des semblables et nous aurions parlé de là-bas, de cette terre ingrate que nous avons dû quitter mais qui nous reste rivée au cœur. Nous nous serions regroupés autour de notre culture, de nos traditions, de cette religion qui nous a appris là-bas,  à attendre faute de mieux, un au-delà hypothétique mais plein de félicités…

Et voilà… !  L’histoire pourrait être banale mon Ami, si elle n’était aussi le témoignage d’un mal qui gangrène l’humanité : le communautarisme.

Notre défi est de ne pas le laisser évoluer jusqu’ à la haine de l’autre.

Il y a belle lurette que les lois ne sont plus accueillies comme « organisatrices de la société » mais comme une longue litanie d’interdictions et d’obligations.

Aucune d’entre elles ne pourra inscrire au cœur de celui qui reçoit, le souhait de bien accueillir pas plus que la gratitude, dans le cœur de celui qui est accueilli.

Que faire ? Peut-être bien rassembler toute notre objectivité pour qu’une distance soit possible entre les événements et notre manière de les analyser.

Avoir compris clairement l’énoncé d’un problème, c’est souvent en avoir trouvé une partie de la solution.

Voilà mon Ami ! Tu auras compris, j’en suis conscient,  qu’il y a dans ce billet comme « un vœu pieux », que chacune, chacun conservera sa propre sensibilité mais il est,  me semble-t-il,  une réalité que nous nous accorderons à admettre : « L’enfance est un pays dont tous nos petits se reconnaissent… qu’ils viennent de l’est ou de l’ouest, du nord ou du sud ».

Bien à toi

Francis.